Apprendre à co-piloter la charge de travail...
« On peut faire deux choses dans un « même temps », mais on ne peut pas être « à deux endroits » dans un même temps ». Cette évidence, entendue dans un podcast France Culture dédié à la question du Temps en physique avec Etienne Klein, est le nœud de la réflexion que nous posons aujourd’hui alors que l’accélération des transformations induit de maintenir de « l’exploitation » tout en injectant de « l’exploration » dans notre quotidien.
Cette problématique du « temps pour faire ce que nous devons vraiment faire » (ce qui a de la valeur) résonne toute l’année dans les salles de formation chez nos clients. L’injonction « gérez votre temps ! » se confronte à un emballement de la charge de travail toujours plus lourde (et surtout imposée) qui fait voler en éclat toute possibilité de « bien manager » au quotidien.
De quoi parle-t-on ?
Le mot temps est un terme inventé par l’homme pour parler du processus inexorable qui nous traverse. Le mot « temps » vient du latin "tempus" qui désigne « le moment, l’instant ». Gérer le temps, c’est donc gérer « le moment, l’instant ». La gestion du temps est alors la gestion de moments qui s’enchaînent… cela étant rendu possible par la sensation de « durée » qui l’étire sans jamais le maintenir. Le temps ne se gère pas, il passe.
Le temps n’est pas infini, pas pour nous, êtres vivants. Il fixe des limites : il y a un début, et une fin. Ce qui nous amène donc à rappeler que le temps ne peut être compris sans l’Espace. On parlera « d’espace-temps ». La physique explique que sans espace, le temps ne pourrait pas se déployer, et s’écroulerait sur lui-même.
Nous sommes donc en réalité confrontés à un sujet hautement complexe qu’il faut donc aborder avec finesse et une bonne dose d’humilité.
La charge, elle, fait référence ici à la masse (monte-charges) ou en finance pour parler de frais qui pèsent (charges fixes, variables, etc.) dans un compte d’exploitation. La charge qui nous intéresse ici est « la charge de travail ».
L’ANACT, dans un document appelé « comprendre la charge de travail » explique la charge de la manière suivante : « La charge de travail résulte de la gestion des contraintes de l’entreprise par rapport aux moyens humains et opérationnels dont elle dispose. Elle se traduit quantitativement (surcharge, sous charge) mais aussi qualitativement (complexité ou appauvrissement du travail) pour les individus et pour les collectifs. Elle évolue dans le temps et impacte différemment les activités de travail ».
Plus je charge quelque chose ou quelqu’un, plus je l’alourdis. C’est mathématique. Plus j’ai de charges dans mon quotidien, plus je suis alourdi. C’est encore mathématique.
Donc, si la charge augmente de façon spectaculaire comme le montrent certains chiffres, cela signifie concrètement que la vitesse d’exécution ralentit tout autant. Si elle ne ralentit pas, c’est au détriment de la qualité qui elle, en pâtit (imprécisions, erreurs, tensions, conflits, etc.). Cela parce qu’une charge ne peut se gérer que dans un « espace-temps » donné et qu’il n’est pas « physiquement » capable qu’il en soit autrement, n’en déplaise aux « y’a qu’à faut qu’on ». Si la qualité n’en pâtit pas, alors c’est que la compensation s’est faite par la personne (sur travail, horaires à rallonge, intensité du travail).
Pour un manager, c’est un double sujet : le bien-être de ses équipes, et la qualité de son propre management.
Lorsque l’on nous dit toute l’année en formation : « j’aimerais faire ce que tu m’apprends mais je n’ai pas le temps », nous savons qu’une partie de la solution peut être en eux mais aussi qu’une partie réelle est hors d’eux. Dans un autre document appelé « Idées reçues sur la charge de travail », l’ANACT précise : « Les manageurs jouent un rôle clef dans la régulation de la charge de travail. Ils définissent les objectifs individuels et collectifs, et c’est souvent eux qui connaissent le mieux l’activité des travailleurs. Ils sont aussi leur premier interlocuteur en cas de besoin ou de difficulté. Ils ne sont cependant pas tout-puissants et sont souvent eux-mêmes soumis à des contraintes fortes et à une charge de travail élevée. ».
Nous ne pouvons donc en réalité pas gérer le temps (sauf réglant le nombre quantité d’heures), mais nous pouvons gérer la charge que l’on porte ou impose à quelqu’un. Cette charge est appréciée dans un espace-temps donné. Si j’ai 24h00 ou 1 mois pour faire une même charge, l’intensité n’est évidemment pas la même.
Ce sujet de la charge de travail est observé et accompagné depuis plus de 20 ans par les acteurs de la QVCT mais prend une dimension très particulière lorsque les modèles sont en transformation (rupture) et que le quotidien est un amoncellement des tâches, projets, missions qui s’entrechoquent, s’accumulent de façon directive et non-ordonnée. Cela ressemble de près à cette « complexité » qui traduit le chaos et l’incertitude caractérisant l’environnement.
Manager dans cette « pression » et cet « amoncellement » nécessite d’acquérir de nouvelles compétences à défaut de régler le problème à la source, ce qui est évidemment plus que souhaitable. Des approches managériales de bon sens, couplées à une direction générale sensibilisée au « durable », sont d’un vrai secours pour soutenir le développement de nouvelles compétences managériales. D’un point de vue éthique, la seule nécessité de prendre soin de ses équipes pourrait être suffisante pour s’intéresser vraiment au sujet au plus haut niveau de la gouvernance. Pour autant, d’autres vecteurs très concrets d’intérêt existent notamment sur le coût direct (turn-over, arrêts maladie, tensionssociales, accidents du travail) et indirects (réputation de l’entreprise, d’un magasin, d’un site) marque employeur, désirabilité des clients.
De nouvelles compétences managériales pour soutenir cette nouvelle gestion du temps
Les entreprises sont dans une forme d’urgence et de pression qui demande de produire des réponses sur de nombreux sujets. Savoir gérer son temps et le temps de ces équipes devient stratégique au moment où le travail, les conditions de travail et les modèles économiques se transforment. L’IA promet d’y répondre en partie (automatisation des tâches répétitives et sans fortes valeur-ajoutée) mais elle ne fera pas tout.
Comprendre ce qui est important (import-temps ?) est donc stratégique et l’entreprise doit s’assurer que ces sujets sont sous contrôle. Le management (la ligne managériale dans son ensemble) doit se questionner sur l’amoncellement des projets dans tous les sens (surtout dans les métiers supports ou de service où le travail est invisible – dans les métiers de production logistique, usine étant plus visibles).
Un manager doit apprendre à faire ce travail de « priorisation par le sens ». Il doit donc apprendre à « communiquer le sens de ces choix – de ses décisions » et en rendre compte à son N+1 ou sa direction. C’est une seconde compétence « vitale » pour lui, et pour le système. Enfin, il doit apprendre à « coordonner ses équipes ». Un jour, un participant dans un séminaire nous dit « c’est toujours dans les articulations que ça grince » en nous montrant ses genoux. C’est malin, et tellement vrai !
Coordonner, c’est donc avoir un « savoir diriger (orienter) le quotidien dans une trajectoire (sens/finalité) commune ».
3 compétences stratégiques pour manager en 2024 :
- Evaluer la charge et identifier les déséquilibres de l’équipe,
- Ajuster l’organisation de l’équipe et décider ensemble,
- Soutenir humainement l’équipe et discuter du travail.
2 compétences « collaborateur » qui doivent eux aussi se responsabiliser et agir :
- Identifier et alerter,
- Prioriser et s’organiser.
Ces compétences se répondent et c’est seulement dans la montée en compétence des collectifs de travail que la pression de la charge sera gérée, évitera les RPS et permettra d’aller chercher la performance.