Le manager-facilitateur
Ou l’art de faire advenir
« Vous ne sauriez croire avec quelle facilité l’impossible se fait quand il est nécessaire » (Anatole France).
Du command and control à la facilitation
Les publications prédisant la fin du management font florès aujourd’hui. A grands coups de « La fin du management » ou de « débarrassons-nous de tous ces managers », Gary Hamel, célèbre conférencier et professeur en management de son état, ne cesse de prédire l’inéluctable disparition de ces derniers dinosaures que sont les managers.
Or, la réalité du terrain nous montre que la nécessité de la coordination n’a jamais été aussi forte qu’actuellement. Les processus ajustant et reliant les hommes et les systèmes entre eux sont depuis la nuit des temps des facteurs clés de succès et le seront de plus en plus dans les années à venir. Dans les entreprises cellulaires, les structures collaboratives, les entreprises 3.0… la notion temps-lieu est certes en voie d’éclatement et rend le management traditionnel obsolète. Il est progressivement remplacé par une coordination entre pairs, voire entre système de type « blockchain* » où l’organe central de control a quasiment disparu. Mais dans les entreprises plus « traditionnelles » le manager est toujours là, tiraillé entre son désir de pouvoir, d’utilité, de support, entreprenant tant bien que mal sa métamorphose et sa révolution identitaire. Plutôt que de l’abandonner à son triste sort, accompagnons le dans cette nécessaire transition de posture, la pratique de la facilitation étant une des voies possibles pour faire émerger l’intelligence et l’énergie collective.
S’affranchir du poids des mots
Au préalable, nos managers devront certainement se libérer du poids du mot « management » dont l’étymologie (manus- la main en latin) renvoie au mieux à l’idée de conduire d’une main de maître, au pire à l’idée de « main basse », de « manipulation », de « tenir en main » l’organisation et les hommes. Cette acception traditionnelle suggère la contrainte, le poids, l’effort, la réduction des potentiels et la concentration des énergies. Elle se nourrit souvent du génie des organisations et des managers pour compliquer la tâche de leur équipe par la multiplication des reporting, règles, processus et parfois des doubles contraintes.
Et pourtant l’autorité, la vraie, comme nous le rappelle Michel Serres, c’est celle qui augmente l’autre (augere- augmenter en latin), qui lui permet de se développer, de rayonner pour vivre son expansion. L’espoir est donc permis, on pourrait exercer son autorité tout en aidant ses collaborateurs à « s’augmenter » et à s’auto diriger, en les accompagnant par petites touches dans un geste quasi « pointilliste » qui rendrait leur vie de labeur plus colorée, plus légère et plus riche. Comment incarner cette posture qui relève de « l’autorité légère » sans risquer la confusion des collaborateurs ? Comment amener l’autre vers son optimumet trouver le juste milieu entre un management oppressant et un laisser-faire/laisser-agir potentiellement anxiogène ? L’art de la facilitation peut s’inscrire dans cet espace et ouvrir une voie nouvelle pour tout manager en quête de renouvellement dans sa pratique d’accompagnement.
L’architecte, le pilote, le guide... en intelligence de situation
Nous avons tous des souvenirs plus ou moins douloureux de nos différentes expériences pédagogiques d’étudiant. Un prof de math qui prenait un malin plaisir à tout compliquer, à noyer ses élèves sous le poids des formules et à rendre toute expérience d’apprentissage lourde et fastidieuse. Son collègue de philo ou d’histoire, lui, savait transformer les concepts les plus ardus en connaissances fluides et essentialisées, dans l’émergence et la joie… Dans les organisations, nos collaborateurs partagent souvent les mêmes constats, ils louent les managers qui savent rendre facile leur quotidien et fuient comme la peste ceux avec qui tout projet ou toute interaction relève du parcours du combattant. Pour filer la métaphore bioélectrique, certains manager savent rendre plus fluide et plus efficace la transmission d’un flux ou d’un message alors que d’autres sont experts dans l’art de la dispersion énergétique. Car c’est cela la facilitation, cette intervention légère à forte valeur ajoutée qui aide un groupe ou un individu à mobiliser son énergie vitale pour cheminer et produire. Les facilitateurs savent créer un environnement « structurant et habilitant » où l’énergie est à la fois guidée et potentialisée par un geste émancipateur et un cadre libérant. Ils endossent tour à tour les casquettes d’architecte (d’un déroulé ou d’un dispositif), de pilote (du processus et du cheminement) et du guide qui protège le groupe du doute et de la dispersion pour l’aider à découvrir en toute confiance des territoires inexplorés.
Alors manager et faciliter est-ce possible ? Peut-on le matin, analyser des KPIS, exprimer des exigences et arbitrer des ressources et l’après-midi devenir ce serviteur, ce guide qui crée les conditions de potentialisation du groupe ? La bonne question à poser est certainement « qu’est-ce que la situation présente exige de moi en termes de posture » ? Quel geste va permettre au groupe de basculer dans la bonne énergie pour trouver son optimum ? Parfois, c’est bien de main de maître que votre équipe aura besoin d’être menée, à d’autres moments, il vous faudra « ouvrir cette main » pour juste relier et permettre.
Les neufs clés de la facilitation
Quand la vérité de l’instant vous conduit à faciliter plutôt qu’à manager, alors les gestes et les temps suivants sont particulièrement utiles pour cet art de l’interaction :
- Inclure: réussir la mise en sécurité affective de chaque membre, par la reconnaissance, la bienveillance et l’accueil mutuel, oser s’accorder 5 mn pour se connecter à l’humanité de l’autre (être) avant d’envisager son rôle (faire).
- Ouvrir l’échange : faciliter ce travail de maïeutique et de partage de la parole où le sujet du moment est placé au centre et se révèle au collectif par le questionnement authentique, l’intérêt porté à la parole de l’autre et l’enrichissement de ses apports. Une disponibilité à l’autre et au groupe, sans préjugés, parti pris ou projection de l’égo.
- Favoriser l’émergence : Une émergence est une possibilité nouvelle, une potentialité, un éclairage différent qui s’exprime lorsque les conditions sont réunies. Elle se nourrit de cette nécessaire « défixation » de l’objectif qui autorise l’inédit au détour d’échanges informels, mais également de la capacité du facilitateur de se saisir des signaux faibles pour les transformer en opportunités d’apprentissage.
- Soutenir : Donner les autorisations et les protections nécessaires, fluidifier les processus, servir, articuler et relier, rendre les choses possibles, sans les vouloir ou les diriger, bref se mettre à disposition pour faire exister et briller les autres.
- Rythmer : Réussir à faire cohabiter les temps de divergence (ouvrir), d’émergence (révéler) et de convergence (fermer) par une posture spécifique à chaque moment, une maitrise de l’alternance et des énergies. Le rythme et la teinte de chaque instant doivent être suffisamment marqués pour permettre le chaos, l’effervescence et l’avancée.
- Réguler et ajuster : Ramener le groupe vers son contrat social ou son socle de règles, quand celles-ci sont transgressées, quand les échanges ne sont plus au bon niveau, quand la mire n’est plus alignée.
- Méta communiquer : c’est-à-dire communiquer et donner du feed-back sur les processus de communication en cours, aider le groupe dans sa prise de hauteur, recadrer les perspectives et le sens pour favoriser « l’oblique* » et permettre une autre lecture des situations.
- Libérer les émotions : sentir l’état interne du collectif, accepter ses émotions, reconnaitre et fêter les réussites, surfer sur les joies, les peines, les doutes, pour renforcer l’intensité et le goût des expériences. Maitriser la contagion émotionnelle et la transformer en mouvement.
- Modéliser les apprentissages aider le groupe dans sa réflexivité et son objectivation des connaissances émergentes, pour prendre conscience du chemin parcouru et préparer la socialisation des connaissances développées.
Ces gestes et processus sont généralement pratiqués par les consultants, coach et facilitateur « professionnels », il est temps d’aider les managers à intégrer cette pratique pour « faire advenir » avec justesse et légèreté. Dans un prochain billet, nous aborderons la facilitation à travers la pratique de la décision collective. A bientôt, *Une (ou un) blockchain, ou chaîne de blocs est une technologie de stockage et de transmission d'informations sans organe de contrôle. l’oblique : concept proposé par François Julien (cinq concepts proposés à la psychanalyse ; 2012) : approche consistant à s’éloigner de la méthode, du frontal et du direct, pour emprunter les chemins de traverses et aborder les sujets de biais. Pour en découvrir davantage sur le sujet, nous vous convions à notre webinaire :
Faciliter la décision collective : 6 clés à l’usage des managers
Interview de Laurent Juguet dans la Tête à l'Envers :