Un regard sur la question de l’entreprise libérée
Ce billet situe une problématique que je pense être centrale pour chaque manager, patron, DRH qui souhaite évoluer dans sa posture et sa pratique; alerté par les enjeux de plus en plus pressants d’un nouveau modèle managérial qui semble éclore du marasme ambiant.
Car oui, si vous lisez un peu la presse spécialisée en ressources humaines et en management, il y a de quoi complexer ! Manager libérateur VS Petit chef, nouveau modèle contre ancien modèle, leader contre manager, participatif contre collaboratif…bref, vous l’avez compris, le sujet ne peut laisser indifférent.
Il faut d’abord saluer tous ces dirigeants qui ont enclenché, dans leurs entreprises, en toute discrétion, des démarches dite de « libération ». L’enjeu est clair : redonner le pouvoir aux salariés, c’est à dire permettre à chacun de réinterroger son quotidien, son périmètre, son métier pour y apporter intelligence et bon sens, voilà le pari génial des démarches d’entreprises libérées. Mais bien sûr, toutes les entreprises dites « libérées » le sont pour opérer des ruptures et des transformations profondes répondant à un constat souvent compliqué et dysfonctionnel. L’enjeu est alors d’associer l’ensemble des salariés pour de vivre et envisager l’avenir autrement.
Ce mouvement que nous vivons est donc formidable. Pourtant, j’ai souhaité partager quelques interrogations. C’est le chef d’entreprise qui s’interroge et vous propose cet angle de réflexion.
Quel est le message ?
Le message (le contenu – voir le paradigme) doit être canalisé, mesuré, précisé, spécifié. Ce que raconte l’histoire de l’entreprise dite « libérée », c’est un modèle managérial et organisationnel nourrit de la reconquête pleine et entière pour le salarié de son intelligence au travail. Donc dit plus simplement, plutôt que d’avoir des « bras », pour le même prix, on va se payer la « tête » qui va avec! On permet à « l’intelligence, l’initiative et au plaisir » de s’exprimer. On donne un territoire de réalisation pour peu que cela améliore la tâche ou la mission du dit salarié.
L’entreprise libérée c’est une approche « organisationnelle » du travail et des fonctionnements managériaux (processus de décision, circulation de l’information, régulation de l’activité, etc.)
Pour ma part, çà n’est pas tant un problème organisationnel (fin de l’encadrement, fin du reporting, etc.) qu’une question d’Intention et surtout d’Humanité à réaffirmer dans les organisations. Il me semble qu’il est tout à fait possible de permettre à des salariés d’investir « leur territoire » et leur quotidien, de vivre heureux et donner le meilleur d’eux-mêmes dans des organisations (certes plus agiles et simplifiées), sans pour autant inverser la pyramide…ça serait d’ailleurs un premier pas concret, réaliste.
Le message profond de l’entreprise libéré est avant tout, pour ma part, un message qui rappelle aux dirigeants et aux managers que « l’Homme est bon » et que l’enjeu est de lui permettre d’exprimer le meilleur de lui-même, et pas de se mettre en mode « protection » ou « défiance » à l’égard de son entreprise. Ce message est au cœur du concept et faire des changements organisationnels sans interroger profondément les valeurs, les pratiques et les relations reviendrait à faire du neuf avec du vieux…Changer l’emballage mais pas le contenu.
T’es libéré ou pas ? Et si tu l’es pas, qu’est-ce que tu attends !! ?
Malheureusement, c’est toujours pareil : « soit t’es dans le coup….soit t’es pas dans le coup » ! Et là, tout ce que l’on peut lire sur les études de cas nous amènent à nous dire : si tu ne mets pas çà en place dans ton entreprise, c’est que tu te trompes…voir, c’est que tu cautionnes « l’entreprise prisonnière » (Vs libérée, vous aurez compris !). Alors il faut te positionner…t’es libéré ou pas ? Et si tu l’es pas, qu’est-ce que tu attends !! ?
La liberté, c’est pour ma part LA « condition» qui me permet de choisir sa destinée, de pouvoir me déterminer par et pour moi-même, d’avoir « la possibilité de choisir ».
Faut-il alors faire « basculer » tous les managers, patrons, voir salariés qui ne sont pas dans la démarche? Et si le modèle actuel de certaines entreprises était parfois encore satisfaisant à certains endroits, dans certains métiers, secteurs ? Si les femmes et les hommes qui le vivent sont heureux, dans des relations de qualité…est-ce vraiment une « erreur » de ne pas s’y être mis ?
En tant que consultants en management, nous sommes fort interpellés par nos clients sur ce modèle : entre attirance et méfiance, les DRH sont friands d’informations et de regards croisés pour fertiliser cette belle idée. Ce que nous défendons, c’est que la culpabilité n’est pas un sentiment qui génère de l’énergie libératrice et créatrice ; le bonheur, la joie, la liberté certainement plus... et que les raisons qui doivent pousser une entreprise à engager une transformation de ce type doivent trouver leur source dans des valeurs profondes et humaines, pas marketing ou identitaires.
Redonner le pouvoir aux salariés oui…mais pas au détriment du respect des managers.
C’est donc certainement le nom, et le contenu de leur mission qui doit être redéfini.
Le management (la gestion) est nécessaire dans toute entreprise, mais il me semble que cela peut et doit se faire au grand jour, et autrement. Sinon, le risque est grand de déplacer le problème. Nous constatons parfois que certaines entreprises idéalisent le collaborateur opérationnel (employé ou opérateur) et stigmatise le « manager » qui devient l’ennemi du système à qui on a dit « lâche prise, fais confiance », sans lui dire ce qu’il devenait et comment lui-même peut prendre une place différente et « servir » autrement. Nous rappelons que les « grandes choses » se font ensemble, c’est « ET » et pas « OU ». En tant que chef d’entreprise, je peux témoigner que l’on ne peut avancer « contre » une partie de son effectif…en l’occurrence ces managers. C’est le message fort que nous passons aux DRH qui souhaitent s’engager dans la démarche.
Le « sous travail » dont François Dupuy nous parle est aussi une autre réalité qui borne les réflexions. Car un des axiomes de la démarche est que ce sont les managers qui empêchent les collaborateurs de faire leur travail…un nombre non négligeable de salariés dans les entreprises « flemmardent », « boycottent », sont en situation de « sous travail » et le manager n’y est pas toujours pour quelque chose.
L’humanité est à réveiller en chacun de nous de façon à ce qu’elle apparaisse sous des formes simples tels que la Confiance à priori, des relations matures, une responsabilité partagée (et non diluée) clairement organisée.