Les Soft-skills ou la force des compétences douces.
À la simple évocation du mot soft, c’est l’ensemble de la communauté RH qui s’émoustille pour louer la place centrale que les compétences du même nom ont dans la réussite des transformations qu’elles accompagnent dans les entreprises. Ce billet a pour objectif d’apporter un éclairage sur le sujet pour compléter la réflexion des acteurs dans une de nos 4 expertises appelée « Leadership et Management ».
Le doux est fort, le dur est faible.
Les soft-skills viennent compléter la panoplie des compétences techniques et scientifiques pour augmenter significativement la puissance d’innovation (intelligence collective - disruption) et la vitesse (collaboration / Co-élaboration). Ces deux facteurs clés de succès dépendent largement de la capacité que les femmes et les hommes ont à se relier pour le bien d’un projet commun, en opposition aux déperditions phénoménales d’énergie et d’intelligences dont nombre d’entreprises souffrent encore. Se relier est précisément un des thèmes du dernier ouvrage de Michel SERRES (1), où il écrit : « Comment se fait-il que léger, impalpable, aérien, le pouvoir spirituel se répande vers l’ubiquité et tende vers la pérennité, alors que le pouvoir temporel, dur et local, se soumet à des rendements décroissants dans le temps et dans l’espace ? ». Et il est vrai que ce qui concerne l’esprit est, l’Histoire de l’humanité en témoigne, plus fort, plus durable, plus partagé que ce qui revêt une dimension matérielle, quelle qu’elle soit, qui sera amenée inexorablement à disparaitre, ou à muter. En ramenant l’idée de Michel SERRES à la problématique des entreprises, émerge la question de la place qui est accordée à tout ce qui n’est pas « matériel, concret et visible » dans l’entreprise. Dans notre article précédent, nous évoquions la dimension « politique » que revêt actuellement l’entreprise, face à des salariés-citoyens révélés à eux-mêmes par une période socialement sans précédent qui ouvre de nouveaux territoires d’expression et transforment les identités professionnelles.
Les compétences « douces » sont singulières.
Il est bon de se rappeler que la compétence a fait couler beaucoup d’encre car elle est difficilement préhensible, surtout si elle est dite « soft » donc beaucoup moins accessible et prévisible que la compétence « hard » qui répond à des standards, des règles, des normes, des lois, des principes…donc les résultats sont prévisibles, observables et ont surtout un caractère répétitif. Il est donc facile de comprendre que lorsque l’on croise la question de la compétence à celle du « soft », l’on est là en présence d’un enjeu beaucoup moins facile à accompagner que ce que la presse ou les solutions techno en tout genre veulent bien nous faire croire. Les soft skills sont très intimes, relèvent autant de la personne dans sa dimension intellectuelle (comme le hard) qu’émotionnelle, sensitif, situationnel. Un rapport de l’OCDE de Janvier 2017 exprime d’ailleurs très bien cette difficulté à positionner l’enjeu des soft skills : « There is a great emphasis placed nowadays on so-called “soft skills” such as communication, teamwork, empathy, self-motivation and leadership. Some would go so far as to argue that they are just as important, if not more so, than cognitive skills. But it has to be acknowledged that there is no consensus on the definition or measurement of soft skills [2]». Alors si l’OCDE reste prudente sur une définition et surtout un impact clair des soft-skills dans l’équation gagnante des entreprises, il est en revanche possible de peut-être prendre du recul pour impulser une perspective complémentaire.
La graine ne pousse pas dans n’importe quel environnement.
En effet, les soft-skills dépendent des aptitudes émotionnelles, relationnelles et intellectuels des personnes. L’entreprise comme « système » (vivant/organique) doit donc permettre leur émergence (formation, stimulation en situation de travail, évaluation, feedback, etc.) et donc être un terrain/terreau de leur émergence, expression et développement. Pour réussir cette transition, nous voyons deux dimensions que l’entreprise doit intégrer et assimiler pour permettre à ce qui est doux, léger et aérien, d’agir à tous les endroits (lieu/espace), et dans toutes les étapes (temps) du projet de transformation. La première de ces deux dimensions est « l’irrationnel ». Décrite comme source de vitalité des organisations (3) dans un ouvrage collectif en psychologie sociale, l’irrationnel correspond à un paramètre culturel qui accepte le « non-maîtrisé » au profit d’une « potentialité », d’un management favorisant l’énergie positive, l’espérance plus que la fatalité, l’aléa plus que l’illusion prévisionniste. Il ne s’agit pas du « grand n’importe quoi » qu’il faudrait accepter, mais d’accepter que ce qui « vit » dans la complexité du quotidien n’est pas préhensible de façon simple et rationnelle, et que cela ne rend pas le phénomène ou la situation pour le peu mauvaise. Nous sommes clairement dans la nécessité d’appréhender plus et mieux la globalité et la diversité des situations, en acceptant de ne pas tout savoir expliquer et anticiper – la prise en compte d’une partie de la complexité en somme. L’on évoque ici évidemment d’un principe de réalité au combien évident et pour le coup rationnel, qui n’a pourtant pas suffisamment d’écho dans la pensée et la pratique managériale. A partir du moment où l’organisation et le management tiennent compte de l’irrationalité organisationnelle, la dimension « douce » des compétences devient un outil majeur et essentiel pour piloter le quotidien : intuition, altruisme, collaboration, intelligence émotionnelle, pensée complexe… Toutes ces dimensions prennent alors une importance réelle et sont développées, encouragées et prises en compte. Dit autrement, investir le champs des soft-skills induit aussi de faire changer le mindset général dans l’entreprise pour leur laisser de l’espace d’expression et surtout laisser surgir leurs effets tant attendus pour la compétition. La seconde dimension forte du soft est la dimension « émotionnelle ». Plus accessible que la première, largement portée par Goleman (4) depuis maintenant 20 ans ; cette dimension garde une mauvaise presse auprès de nombreux dirigeants car s’il est communément admis qu’elle est une forme d’intelligence, dans les faits, les raisonnements, les pratiques, elle est souvent assimilée à la dimension « pathogène » de l’être humain. Or, l’intelligence dite « émotionnelle » parle essentiellement d’un élargissement de son champ de compréhension en entrant en résonance (empathie) son environnement humain et social (client, partenaire, collègue) qui permet de s’inter-relier à lui. Arun Manilal Gandhi (5) érige la colère au rang d’élément vertueux, mêlé à la maîtrise de soi, cette émotion permettrait d’être actif et non béatement contemplatif face aux injustices. Si l’émotion est un phénomène « éphémère » par nature, elle témoigne de la dimension vivante et organique de l’organisation. Alors évidemment, en synthèse et conclusion, lorsque l’on traduit tout cela en pratique, des pistes de travail apparaissent. Parmi elles, nous en avons sélectionné quelques-unes qui nous semblent particulièrement pertinentes :
- La « singularité» de chacun est au cœur du processus de formation pour permettre un travail fin, précis et adapté aux réels besoins – c’est en partant de la personne que la formation apparait,
- Les « situations de travail» deviennent sources d’apprentissages par un accompagnement opérationnel fin et récurrent (coaching, feedback) du manager ou d’un « tuteur » sur les dimensions à acquérir,
- Le « partage des pratiques » mises en œuvre pour résoudre des situations problèmes spécifiques alimente l’appropriation par « imitation / comparaison » qui renforce l’apprentissage
- L’« essai-erreur» comme source d’apprentissage est d’autant plus important que la dimension à acquérir et développer est complexe
Voici donc 4 principes pédagogiques qui devraient guider les ingénieries des projets Learning qui visent à développer les Soft-skills dans les entreprises. Références :
(1) - http://www.oecd.org/officialdocuments/publicdisplaydocumentpdf/?cote=EDU/WKP(2018)2&docLanguage=En
(2) - Michel Serres, Relire le relié - 2019
(3) - L’irrationnel : source de vitalité organisationnelle ? - 2013
(4) - Goleman - L’intelligence émotionnelle, 1995
(5) - Arun Gandhi, Le pouvoir de la colère - 2020